En janvier, le tribunal de Bordeaux a prononcé des peines à l'encontre de cinq professionnels du vin reconnus coupables de la plus grande affaire de fraude au vin de mémoire récente. La présidente du tribunal, Marie-Elisabeth Boulnois, a distribué des bracelets de cheville pour les infractions les plus graves, en plus de lourdes amendes. Mais tant les défendeurs que les plaignants affirment que la justice n'a pas été rendue.
Cette fraude complexe de plusieurs millions de dollars consistait à transporter par camion des centaines de milliers de caisses de vin espagnol bon marché en vrac vers le nord de la France, à modifier les documents officiels pour refléter l'origine française, à mettre en bouteille et à vendre le vin comme s'il s'agissait d'appellations bordelaises plus prestigieuses, notamment Margaux et Médoc.
Jean-Sébastien Laflèche, propriétaire de la négoce Defivin à St-Loubès, et Michel Gilin, ancien commercial de la grande coopérative Celliers Vinicoles du Blayais (CVB), ont été condamnés aux peines les plus lourdes, "en raison de la gravité des actes, de la nature des faits, de leur durée, des quantités en jeu et des condamnations antérieures", a déclaré M. Boulnois.
Les deux hommes purgeront leur peine de prison en étant assignés à résidence. Laflèche, condamné à deux ans, s'est vu confisquer des biens d'une valeur de 253 000 euros, dont sa Mercedes, et Gilin, condamné à 20 mois, s'est vu infliger une amende de 200 000 euros. Ils sont les deux seuls à avoir été reconnus coupables de tromperie (fraude à la consommation). Tous deux sont interdits de travailler dans le commerce du vin pendant cinq ans.
Leurs trois complices, Daniel Banchereau, Sylvie Bernard et Fabien Figerou, ont été condamnés à des peines plus légères. Banchereau et Bernard ont été condamnés à des peines de prison avec sursis et à des amendes de 12 000 euros. Figerou, qui dirigeait les caves de Bégadanet dans le Médoc où la mise en bouteille a eu lieu, a été reconnu coupable d'avoir transporté du vin sans papiers.
Ces cinq personnes ont été tenues mutuellement responsables d'une amende fiscale de 670 000 euros pour avoir mis en circulation des marchandises irrégulières, ce qui porte le montant total des amendes à plus d'un million d'euros.
Sophie Benayoun, avocate de Laflèche, a dénoncé la décision en déclarant : "Ces amendes fiscales sont totalement disproportionnées". Elle a fait valoir que les cinq personnes étaient des "lampistes" - des employés subalternes qui ont pris le blâme pour des criminels plus puissants. "Il faut se demander qui a profité du crime. Ils étaient les pions.
L'avocat de la défense de Gilin, Lucas Tabone, a abondé dans le même sens. "Ils étaient employés par des entreprises pour trouver des fournisseurs. Ces personnes n'ont jamais été celles qui ont gagné de l'argent dans cette affaire. Ceux qui ont gagné de l'argent grâce à cette affaire n'étaient pas ici [au tribunal]".
Les parties civiles, qui reçoivent de petites indemnités de l'ordre de 12 500 euros, comprennent le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), la Fédération des grands vins de Bordeaux, la Fédération des négociants de Bordeaux et de Libourne et la Confédération paysanne.
Dominique Techer, porte-parole de la Confédération paysanne, s'est dit déçu que l'enquête n'ait pas permis de déterminer clairement qui avait donné les ordres. "Tout le monde sait comment cela fonctionne. En 2013, 2014, il y a eu une pénurie de vin, et les gens ont donné des ordres en disant : "Trouvez-moi du vin". Néanmoins, il a souligné que "lorsque vous achetez une bouteille de Bordeaux ou même de Vin de France, vous ne devriez pas avoir à vous demander s'il s'agit d'un 'vrai' vin ou non".